La destination du domaine public portuaire (1)

Mis à jour en août 2005

Le respect de la destination du domaine public portuaire : un principe impératif

Pour le Conseil d’Etat, « Le domaine public est affecté à un service public ou à l’usage du public en vue de la satisfaction d’un intérêt général précisé par l’acte d’affectation. Cet acte d’affectation confère à la portion de domaine public envisagée une spécialité et le service attributaire ne doit, en principe, utiliser ladite portion qu’en vue de la mission qui lui a été assignée. » [1]

L’usage conforme à la destination du domaine public portuaire s’impose comme un principe incontournable. Le domaine public portuaire est donc affecté à la satisfaction d’un intérêt général, fluctuant. Cet intérêt général est relié à la mission de service public à laquelle sont affectées les dépendances. En s’attachant à analyser le reflux de la notion de service public, y compris portuaire, et que les autorités elles-mêmes semblent appeler de leurs vœux, surgit un paradoxe. Soit le domaine public portuaire est trop largement entendu pour l’évolution actuelle du service public portuaire, qui tend à resserrer ce dernier autour d’un noyau d’intervention publique, soit il est rendu inadapté par son régime trop protecteur, qui ne lui permet pas d’accueillir dans des conditions satisfaisantes des activités qui ne supportent en pratique aucune obligation de service public.

§ 1. La spécialité des ports autonomes

A. Une spécialité définie par le code des ports maritimes

L’article L111-2 du code des ports maritimes définit les missions des ports autonomes en ces termes :

« Le port autonome est chargé, à l’intérieur des limites de sa circonscription, et dans les conditions définies ci-après, des travaux d’extension, d’amélioration, de renouvellement et de reconstruction, ainsi que de l’exploitation, de l’entretien et de la police, au sens des dispositions du livre III du présent code, du port et de ses dépendances et de la gestion du domaine immobilier qui lui est affecté. »

Par conséquent, en vertu du principe de spécialité qui s’applique aux établissements publics, le domaine public portuaire dont le port autonome est affectataire ne peut être utilisé en dehors de ces missions. Cette garantie est importante, dans la mesure où les ports autonomes ne peuvent eux-mêmes utiliser le domaine public portuaire à des fins non portuaires. Le caractère portuaire d’une activité n’est toutefois pas verticalement encadré par le droit.

B. Les limites au principe de spécialité

L’étendue des missions des ports autonomes est assez largement entendue dans le code des ports maritimes, et la jurisprudence a une conception souple du principe de spécialité.

Le Conseil d’Etat a pu estimer, au sujet de Voies navigables de France, qu’un établissement public pouvait utiliser le domaine public qui lui était affecté a des fins autres que celles qui lui sont explicitement attribuées par la loi. Il a défini les conditions de cette utilisation « souple » en ces termes :

« Le principe de spécialité qui s’applique à un établissement public tel que Voies navigables de France signifie que la personne morale, dont la création a été justifiée par la mission qui lui a été confiée, n’a pas de compétence générale au-delà de cette mission. Il importe peu à cet égard que le législateur ou le pouvoir réglementaire, lors de la création de l’établissement, n’ait pas entendu explicitement interdire d’autres activités. Toutefois, le principe de spécialité ne s’oppose pas, par lui-même, même dans le silence des textes statutaires, à ce qu’un établissement public, surtout s’il a un caractère industriel et commercial, se livre à d’autres activités économiques, à la double condition :

– d’une part, que ces activités annexes soient techniquement et commercialement le complément normal de sa mission statutaire principale, en l’espèce, l’exploitation, l’entretien, l’amélioration, l’extension des voies navigables et de leurs dépendances et la gestion du domaine de l’État nécessaire à l’accomplissement de ces missions ;

– d’autre part, que ces activités soient à la fois d’intérêt général et directement utiles à l’établissement public notamment par leur adaptation à l’évolution technique et aux impératifs d’une bonne gestion des intérêts confiés à l’établissement, le savoir-faire de ses personnels, la vigueur de sa recherche et la valorisation de ses compétences, tous moyens mis au service de son objet principal. » [2]

Le juge tend donc à intégrer dans l’intérêt général, dont l’établissement public doit assurer la satisfaction, la bonne insertion de l’activité dans son environnement économique.

§ 2. La marge de manœuvre des collectivités territoriales

Les collectivités territoriales ne sont pas des établissements publics, et la seule limite à leurs compétences est définie par les lois qui les concernent. Aucune spécialité ne doit venir grever leur capacité d’agir, conformément au principe de libre administration des collectivités territoriales. Les collectivités territoriales ont une marge de manœuvre considérable, qu’elles soient gestionnaires du port, ou géographiquement limitrophes d’un port autonome.

A – Les collectivités territoriales gestionnaires du port

Jusqu’ici, le domaine public affecté aux ports décentralisés, en vertu de la loi n°83-663 du 22 juillet 1983 [3], restait la propriété de l’Etat, soumis en tant que tel au code du domaine de l’Etat. Les collectivités territoriales, seulement affectataires de dépendances du domaine public portuaire, ne pouvaient donc valablement désaffecter de fait ces dépendances, sans l’accord du propriétaire du domaine. Ces collectivités ne pouvaient donc utiliser le domaine public portuaire pour répondre à des objectifs relevant d’une autre de leurs compétences. En cas d’affectation nouvelle sans rapport, les articles 631-2 du code des ports maritimes et L321-3 du CGCT prévoient que l’Etat retrouve de plein droit la gestion du domaine.

La marge de manœuvre des collectivités territoriales a évolué depuis que ces dernières sont devenues pleinement propriétaires des ports non autonomes. En effet, il existe désormais un domaine public portuaire « décentralisé ».

Les ports non autonomes (c’est-à-dire les ports d’intérêt national) ont été transférés aux collectivités territoriales et à leurs groupements par l’article 30 de la loi 2004-804 du 13 août 2004. Ces ports deviennent donc des ports décentralisés au sens plein. La compétence en matière portuaire et la propriété des dépendances du domaine public portuaire reviennent de plein droit aux collectivités territoriales (« Les dépendances du domaine public de ces ports sont transférées à titre gratuit »). En outre, toutes les collectivités territoriales qui ont reçu compétence en matière portuaire peuvent demander le transfert de propriété du domaine public correspondant.

En l’absence de disposition législative explicite allant dans le sens du respect de la destination des dépendances du domaine public portuaire dont les collectivités territoriales sont propriétaires, il est permis de douter que ces dépendances soient astreintes au principe de spécialité.

Toutefois, le dispositif existant peut être étendu à l’hypothèse de la collectivité territoriale propriétaire. Il n’y a pas lieu de penser en effet que le transfert de propriété ait affecté l’obligation qui est faite au gestionnaire du domaine public portuaire de respecter la destination des dépendances de ce domaine. Continue en effet de s’appliquer l’article 9 de la loi n°83-663 du 22 juillet 1983, qui dispose qu’ « un décret en Conseil d’Etat définit les prescriptions et modalités d’utilisation particulières auxquelles elles sont assujetties et qui garantissent le respect de leur vocation ».

L’article R631-2 du code des ports maritimes, pris en application de cet article, continue donc d’imposer aux collectivités territoriales de n’établir, « sur les dépendances du domaine public mentionnées à l’article R. 631-1, que des ouvrages, bâtiments ou équipements ayant un rapport avec l’exploitation du port ou de nature à contribuer à l’animation et au développement de celui-ci ».

B – Les collectivités territoriales d’implantation d’une zone portuaire

Il convient de rappeler que les ports ne jouissent d’aucune extraterritorialité par rapport aux communes où ils sont implantés, et qu’ils sont compris dans le périmètre des plans d’occupation des sols. L’affectation portuaire des dépendances du domaine public et l’intérêt général qu’elles servent les protègent relativement bien des incursions de la commune d’implantation. Il est certains cas cependant où cette imbrication des espaces, indispensable par ailleurs à l’insertion de l’intérêt général portuaire dans son environnement local, pose problème.

Les collectivités locales peuvent modifier les règles d’affectation d’une zone industrialo-portuaire lors de la révision d’un plan d’occupation des sols, et ce, sans l’accord de l‘autorité portuaire. Toutefois, cette révision ne peut soumettre les terrains faisant partie du domaine public à des prescriptions incompatibles avec l’affectation qui leur est donnée effectivement pour l’exploitation du service public portuaire. En l’espèce, les terrains n’avaient pas d’affectation précise et le juge estime que leur affectation future éventuelle ne fait pas obstacle aux pouvoirs de la commune.

Cette solution est exprimée en ces termes :

« Considérant que l’appartenance de terrains au domaine public ne constitue pas en soi un obstacle à ce qu’ils fassent l’objet de prévisions et de prescriptions édictées par un plan d’occupation des sols ; que si un plan d’occupation des sols ne peut sans erreur manifeste d’appréciation soumettre des terrains inclus dans le domaine public à des prescriptions incompatibles avec l’affectation qui leur est effectivement donnée pour l’exécution notamment du service public portuaire, la seule inclusion dans la circonscription du Port autonome de Nantes – Saint-Nazaire par le décret du 23 novembre 1983 de terrains sans affectation précise n’entache pas, par elle-même, l’illégalité les dispositions du règlement du plan d’occupation des sols de la commune de Bouguenais qui seraient incompatibles avec l’affectation future de ces terrains à une activité portuaire ; que ces dispositions ne sauraient avoir pour effet de contraindre le port autonome à donner aux terrains jusqu’alors sans affectation précise compris dans son périmètre une destination autre que l’activité portuaire. » [4]

Au surplus, la fin des hinterlands captifs, le phénomène de déconnexion progressive des activités portuaires et de l’environnement urbain attenant, fait naître quelquefois dans les villes qui accueillent un espace affecté à des activités industrialo-portuaires, et qui n’en retirent aucun fruit, un fort ressentiment. Cette situation conduit parfois les maires à prendre des mesures de police communale propres à entraver l’exploitation de la zone, par exemple par une réglementation de la voirie applicable aux accès à ladite zone. Ces nécessités d’insertion environnementale des dépendances du domaine public portuaire sont un indice de l’inadéquation entre, d’une part, l’intérêt général tel qu’il conditionne l’utilisation du domaine public portuaire, et l’intérêt général tel qu’il devrait être défini pour s’adapter aux véritables enjeux portuaires.

« Le domaine n’est pas seulement affecté au service du transit des marchandises, à la connexion de divers modes de transport » [5]. Ce peut être également un outil d’aménagement.

[1] Avis CE n° 346.685 du 23 janvier 1990 ; v. Avis CE 11 mai 1963

[2] Avis du Conseil d’Etat n°369.299 du 16 décembre 2003

[3] Loi n°83-663 du 22 juillet 1983, complétant la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l’Etat, articles 5 à 9

[4] CE Sect 28 juillet 2000, DMF, mars 2001, n°613, p. 232, note R. Rezenthel

[5] B. Vendé, Les polices dans les ports maritimes, préface J.-P. Beurier, PUAM, 2005

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