Le domaine public portuaire, support et moyen d’action du service public portuaire (2)

Les critères classiques de la domanialité publique appliqués aux espaces portuaires.

Le silence quant à la définition des ports et de leur support foncier laisse au juge tout le soin de pallier cette circonstance, qui n’est autre qu’une caractéristique du droit portuaire français. Le régime portuaire espagnol issu des lois de 1992 et 2003 [1], texte complet et structuré, définit très précisément la notion de port maritime, comme un « ensemble maritime comprenant des espaces terrestres, des eaux maritimes et des installations qui, situé sur le littoral maritime ou fluvial, réunit les conditions physiques, naturelles ou artificielles et d’aménagement de nature à permettre la réalisation d’opérations de trafic portuaire, et a été affecté au développement de ces activités par l’administration compétente » [2]. « Un port maritime ne peut être qualifié de port de commerce que s’il réunit les conditions techniques, de sécurité et de contrôle administratif indispensables à la réalisation des activités commerciales portuaires ». Les ports maritimes d’intérêt général relèvent tous de l’Etat, et le territoire affecté aux ports d’intérêt général est intégré au domaine public portuaire de l’Etat (articles 10 et 14 de la loi de 1992). Enfin, la nature et la composition du domaine public portuaire sont évoquées à l’article 94 de la loi de 2003.

Dans le silence de la loi, il est indispensable d’essayer de découvrir dans la jurisprudence administrative les critères du domaine public portuaire.

On peut définir le domaine public portuaire comme le domaine public de l’Etat, et des autres collectivités publiques, affecté au service public portuaire. Mieux cerner cette notion revient donc à rappeler les critères classiques de la domanialité publique, puis à se concentrer sur la notion de service public portuaire.

Le silence des textes a donné au juge administratif le pouvoir de révéler des critères de définition du domaine public, à l’aune de son seul instrument de mesure, l’intérêt général. Cependant, la recherche de tels critères n’a jamais vraiment abouti à une solution satisfaisante, et laisse planer encore aujourd’hui un doute préjudiciable à la sécurité juridique des usagers de l’espace portuaire, qui se préoccupent moins du régime juridique exact des terrains d’assiette de leur activité, que de l’avenir de leur exploitation.

Les critères classiques du domaine public

En réalité, ni la définition générale du Code du domaine de l’Etat, ni le code des ports maritimes, ni le Code civil ne rendent compte du droit positif applicable en matière de domanialité portuaire. La seule évocation du domaine public portuaire figure à l’article 29 de la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 [3].

Seule la définition jurisprudentielle est retenue en droit positif.

Les conditions préalables à la qualification de domaine public sont classiquement au nombre de trois. La parcelle concernée doit constituer une propriété publique, appartenant exclusivement à une personne publique [4]. Elle doit être affectée à l’usage direct du public ou à un service public. Enfin, la domanialité publique résulte d’un aménagement spécial.

 A – L’appartenance à une personne publique, critère impératif mais remis en cause

Ce critère est obligatoire. Toutes les personnes de droit public, incluant les établissements publics tels que les ports autonomes (y compris les établissements publics à caractère industriel et commercial [5], si tant est que les ports autonomes puissent être regardés comme tels), et les collectivités territoriales gestionnaires de ports (et bientôt propriétaires des ports d’intérêt national), sont susceptibles de détenir en propre des dépendances du domaine public portuaire [6]. Bien sûr, une disposition législative contraire y ferait obstacle. Cette appartenance doit être totale [7].

En conséquence, les personnes de droit privé ne peuvent pas détenir de domaine public. Les évolutions législatives récentes sont susceptibles d’éclairer sous un jour nouveau cette solution, consacrée par la jurisprudence [8] car elle désigne le seul critère impératif de la domanialité publique.

La notion d’ouvrage public n’est elle non plus définie par aucun texte et, comme pour le domaine public, avec lequel elle entretient une certaine proximité, c’est au juge qu’il est revenu d’établir des outils pour en dessiner les contours. Ces critères sont d’ailleurs en partie comparables à ceux du domaine public. Comme en matière domaniale, l’affectation à l’intérêt général est indispensable [9]. De même, pour incorporer un bien au régime des ouvrages publics, le critère organique de l’appartenance à une personne publique est déterminant, à de rares exceptions près : soit tous les autres critères, d’immobilisation, d’aménagement et d’affectation, sont déjà remplis, soit s’applique à l’ouvrage la théorie de l’accessoire [10].

Cependant, la loi du 20 avril 2005 relative aux aéroports [11], en son article 2, qualifie explicitement des biens appartenant à une société privée d’ouvrages publics [12]. Cette circonstance nouvelle se trouve être mise en lumière par F. Melleray [13], qui constate qu’il existe désormais une porosité entre le régime du domaine public et celui de biens privés affectés à un service public.

 B – L’affectation au service public portuaire

La domanialité publique peut résulter d’une affectation à l’usage direct du public, mais le ressort du domaine public portuaire doit plutôt être recherché dans le service public portuaire. Cette dernière notion n’est pas abordée par la loi, et ses contours ne sont perceptibles qu’à l’article L111-2 du code des ports maritimes, qui attribue aux établissements publics portuaires les missions « d’extension, d’amélioration, de renouvellement et de reconstruction, ainsi que de l’exploitation, de l’entretien et de la police (…) du port et de ses dépendances et de la gestion du domaine immobilier qui lui est affecté ». Cependant, il est loisible aux ports autonomes, pour exercer des missions annexes de celles énumérées, d’utiliser leur domaine privé sans que l’aménagement prévu ne conduise à réintégrer la parcelle dans le domaine public [14].

Cette imprécision a rendu possible que la référence au critère de l’affectation au service public, en matière portuaire, se soit muée en une application de la théorie de la domanialité globale, à laquelle le juge administratif a plus volontiers fait appel pour qualifier des dépendances portuaires [15].

On voit donc que le lien est plus que distendu et incertain entre le domaine public portuaire et son affectation à un service public, qui n’est nulle part défini. La question est relativement importante si l’on considère que le service public est assorti de garanties constitutionnelles, auxquelles font écho les restrictions inhérentes à la domanialité publique. Les principes d’inaliénabilité, d’imprescriptibilité, de précarité de l’occupation, correspondent aux exigences d’existence du service, de continuité et de mutabilité du service public. Elles n’ont plus lieu d’être, d’une part, lorsqu’elles ne correspondent pas à un réel besoin de service public et, d’autre part, quand ces exigences sont garanties par d’autres moyens.

A ce titre, Mme Latournerie a déjà eu l’occasion de rappeler que le domaine privé est lui aussi soumis à un régime de droit public [16].

 C – L’adaptation par des aménagements spéciaux à l’objet du service

Les biens qui ne sont pas naturellement adaptés aux nécessités du service public ne font partie du domaine public qu’à la condition d’avoir reçu certains aménagements spéciaux en vue du service auquel ils sont destinés. Ne font pas partie du domaine public portuaire, par exemple, des terrains expropriés au profit d’un port autonome en vue de la construction d’un canal et qui n’avaient jamais reçu d’affectation publique et étaient restés d’utilisation agricole [17].

Le Conseil d’Etat a consacré la théorie de la domanialité publique virtuelle selon laquelle l’aménagement spécial non encore réalisé, mais programmé, suffisait à inclure le bien dans le domaine public [18]. Cette solution aboutissait à étendre encore la consistance du domaine public.

Ces deux derniers critères ont été vivement critiqués par Mme Latournerie, qui les estime incapables d’assurer l’« effectivité de la règle de droit et [l’]adaptation de cette règle de droit aux réalités économiques ».

A suivre…

[1] Ley N°27/92 du 24 novembre 1992, Bulletin officiel espagnol, n°283, 25 novembre 1992, p. 39953 ; Ley n°48/2003 du 26 novembre 2003, BOE, n°284, 27 novembre 2003

[2] Article 1 de la Ley 27/1992, du 24 novembre 1992, de Puertos del Estado y de la Marina Mercante

[3] Loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l’aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral (JORF du 4 janvier 1986)

[4] CE 13 mai 1964, Eberstock

[5] CE 21 mars 1984, Mansuy, CJEG, 1984, p. 274, concl. Ph. Dondoux

[6] CE 6 février 1981, M. Epp, Rec. tables, p. 745 ; CE 21 mars 1984, Mansuy, CJEG, 1984, p. 274, concl. Ph. Dondoux ; CE 23 juin 1986, M. Thomas, Rec. p. 167 ; CE 2 octobre 1987, Société anonyme Le Sully d’Auteuil, CJEG, 1988 p. 321 note  P. Sablière ; Cass. Civ. 1ère ch. 11 juin 1991, cts Renault, CJEG, 1992, p. 505, note P. Sablière

[7] CE 19 mars 1965, Sté Lyonnaise des Eaux, n°59061, Lebon, p. 184

[8] Trib. confl. 7 juillet 1980, Aboncourt

[9] M. Labetoulle, concl. sur CE sect. 10 mars 1978, OPHLM de Nancy, AJDA 1978, p. 401

[10] CE Avis 11 juillet 2001, Adelée

[11] Loi n°2005-357 du 20 avril 2005 relative aux aéroports, JORF 21 avril 2005

[12] « Les ouvrages appartenant à la société Aéroports de Paris et affectés au service public aéroportuaire sont des ouvrages publics. »

[13] F. Melleray, Incertitudes sur la notion d’ouvrage public, AJDA, 2005, p. 1378

[14] Avis CE Ass. 16 octobre 1980, Revue de droit immobilier, 1981 p. 309

[15] CE Sect. 19 octobre 1956, Soc. Le Béton, Lebon, p. 375, D. 1956-J-681, concl. M. Long, AJ, 1956,-II-472 et 488, concl. Long et chron. Fournier et Braibant

[16] Colloque « Domaine public et activités économiques », CJEG, octobre 1991, H.-S., p. 15

[17] CE 30 mai 1951, Sempé, Lebon, p. 297

[18] CE Avis, sect. intér. et trav. publ. réunies, 31 janv. 1995, AJDA 1997, p. 139

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