L’échec des théories liées au domaine public portuaire

Un échec lié à l’impossibilité d’adapter ces critères à l’ensemble des activités siégeant sur le domaine et la tentative de restreindre le champ du domaine public portuaire

A – Un échec lié à l’impossibilité d’adapter ces critères à l’ensemble des activités siégeant sur le domaine

L’arrêt de référence en matière de domaine public portuaire, et qui synthétise le régime de la consistance du domaine public portuaire, est l’arrêt « Le Béton » (préc.). Le Conseil d’Etat y a appliqué une théorie de la domanialité publique globale, mettant ainsi en évidence la faiblesse du critère du domaine public. L’aménagement spécial résultait en effet de la situation géographique de la parcelle, tandis que l’affectation au service public portuaire découlait naturellement de l’ensemble formé par le port.

En application de la théorie de la domanialité publique globale, qui tend à regrouper sous le régime de la domanialité publique tous les éléments d’une organisation d’ensemble [1], certaines dépendances portuaires peuvent être regardées comme relevant de la domanialité publique.

Cette vision particulièrement extensive du domaine public portuaire a trouvé à s’exprimer dans la jurisprudence du Conseil d’Etat :

« La totalité des terrains compris dans l’emprise d’une concession et aménagés à ce titre est considérée quelles qu’en soient les diverses affectations, comme participant à l’organisation d’ensemble que forme le port […] et affectée, à ce titre, à l’objet d’utilité générale qui a déterminé la concession et donc incorporée au domaine public de la collectivité concédante » [2]. Cette théorie englobante a été, pour citer un exemple extrême, appliquée par la CAA de Paris dans son arrêt du 7 novembre 1989 [3]. La Cour regardait comme procédant de la création d’un service public toute opération ayant pour objet de favoriser le développement économique de la commune, et en tirait les conséquences en matière domaniale.

La domanialité publique peut également, en application de la théorie de la domanialité publique « virtuelle », résulter d’un aménagement futur, en ce sens que le critère de l’affectation est rempli dès lors que l’affectation est certaine, quoiqu’elle ne soit pas encore effectivement matérialisée. L’appartenance au domaine public est anticipée [4]. Elle peut résulter également de l’application de la théorie de l’accessoire. Lorsque la dépendance accessoire concourt à servir l’affectation de la dépendance principale, par utilité fonctionnelle, elle peut être qualifiée de dépendance du domaine public.

Ces diverses acceptions de la domanialité publique ont toutes contribué à en étendre la consistance. Même l’aménagement spécial, conçu comme un critère réducteur, est devenu un indice d’inclusion. Le Conseil d’Etat s’efforce de maintenir les solutions jurisprudentielles classiques [5], même si le critère de l’affectation au service public se révèle insuffisant, et celui de l’aménagement spécial est, semble-t-il, en passe d’être abandonné dans la rédaction du code des propriétés publiques qui est en préparation.

Confrontée à une extension injustifiée du domaine public, la jurisprudence a tenté d’en restreindre la consistance.

B – La tentative de restreindre le champ du domaine public portuaire 

Suite à cette extension démesurée de la consistance du domaine public portuaire, qui soumettait à un régime strict certaines parcelles accueillant des entreprises, qui n’en avaient nul besoin, des moyens d’enrayer cette hypertrophie ont été recherchés. Aucun n’a cependant clairement constitué l’amorce d’un revirement jurisprudentiel susceptible d’entraîner une réduction de la consistance du domaine public.

Le Conseil d’Etat a jugé que des terrains appartenant à un port maritime autonome et non aménagés en vue de l’affectation au service public ne faisaient pas partie du domaine public [6]. Le Conseil d’Etat a également été consulté par le ministre chargé des ports maritimes, sur le droit pour une autorité portuaire de déclasser le domaine public dont elle a la gestion en vue de réaliser un aménagement industriel. Ce droit a été reconnu par le Conseil réuni en Assemblée [7]. Un tel déclassement est possible, « sachant que l’aménagement non directement lié au fonctionnement du service public n’entraînerait pas une réintégration dans le domaine public. En d’autres termes, pour les ports maritimes autonomes, la Haute Assemblée écarte l’application de la théorie du domaine public virtuel, et tempère la portée de la jurisprudence ‘société Le Béton’ à l’égard du domaine de ces établissements publics » [8].

La solution du déclassement a encore été récemment jugée valide par le Conseil constitutionnel. Dans sa décision rendue le 14 avril 2005 [9], le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution la loi relative aux aéroports. Or, cette loi transformait ADP en société privée, déclassait le domaine public qui lui était jusque là affecté pour le lui remettre en pleine propriété, tout en lui conservant les missions de service public aéroportuaire. Par conséquent, le service public, dans certains cas particuliers, peut très bien avoir pour support des biens qui ne font pas partie du domaine public. Autrement dit, le domaine public « organique » peut très bien être remplacé par un « domaine public contractuel ».

Le Conseil constitutionnel justifie sa décision d’écarter la domanialité publique au profit d’une solution de droit privé, en déconnectant les deux notions de domaine et de service :

« Le déclassement d’un bien appartenant au domaine public ne saurait avoir pour effet de priver de garanties légales les exigences constitutionnelles qui résultent de l’existence et de la continuité des services publics auxquels il reste affecté. »

La domanialité publique n’est pas requise pour un bien affecté à un service public dès lors que ces biens sont suffisamment protégés pour garantir le service public. Les garanties suffisantes de continuité du service public sont constituées pour le Conseil : de la participation majoritaire de l’Etat dans la nouvelle société, conformément au neuvième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, de l’existence d’un cahier des charges prévoyant les obligations de service public, et les sanctions susceptibles d’être infligées en cas de manquement, et surtout, de l’établissement d’un régime d’aliénation restrictif des biens nécessaires au bon fonctionnement du service public. Ces biens sont insaisissables, et leur aliénation est conditionnée à la mise en place d’une solution de nature à assurer l’accomplissement des missions de service public.

Par ailleurs, une nouvelle restriction peut provenir du fait qui si, jusqu’à aujourd’hui, seul le régime de la domanialité publique s’appliquait pour l’utilisation d’un ouvrage ayant une double implantation domaine public – domaine privé [10], il ne pourra en être de même sur les terminaux portuaires.

La convention type d’exploitation de terminaux dans les ports maritimes autonomes, approuvée par décret [11], stipule que la convention peut porter à la fois sur le domaine public portuaire et sur le domaine privé. Par ailleurs, dès lors que le décret n°99-782 du 9 septembre 1999 (art. R 115-7-III du code des ports maritimes) écarte implicitement l’existence du service public dans l’exploitation de ces terminaux, c’est un régime adapté à cette situation mixte qui doit prévaloir. Ce régime « à cheval » sur le domaine public portuaire n’existe pas, il est pourtant le corollaire nécessaire de la contraction du domaine public portuaire autour de ses services publics essentiels.

Enfin, parallèlement à cette avancée, la théorie de l’échelle de la domanialité, inspirée par Léon Duguit et l’Ecole de Bordeaux, a provoqué une certaine adhésion dans la doctrine [12]. L’idée centrale de cette théorie consiste à vouloir appliquer à chaque bien, de manière différenciée, le régime de protection qui lui est strictement nécessaire en fonction de son affectation [13]. Il ne s’agit plus d’agir sur la consistance du domaine public, mais sur sa portée. Pour J.-P. Duprat, « Le regain d’intérêt pour l’idée d’une échelle de domanialité, envisagée par le doyen Duguit et plus explicitement par le doyen Auby, ne fait qu’exprimer la crise conceptuelle » de la dualité domaine public/domaine privé [14]. L’illustre René Capitant avait d’ailleurs brillamment démontré que le régime domanial protecteur ne devait porter que sur l’affectation du bien, et non sur le bien lui-même [15].

[1] CE Avis 13 juin 1989

[2] CE 25 mars 1988, Consorts Demereau, Lebon, p. 778 ; CE avis 13 juin 1989, EDCE n°41, 1989, p. 250

[3] CAA Paris 7 novembre 1989, SARL Pardon Création, req. n°89PA00635

[4] CE 29 novembre 2004, SASF, note M. Ubaud-Bergeron, AJDA, 2005, p. 1182 ; CE Avis, 31 janvier 1995, AJDA, 1997, p. 126

[5] CE 29 novembre 2004, Soc. des autoroutes du sud de la France, req. n°234129

[6] CE 30 mai 1951, Sieur Sempé, Rec. p. 297 ; CE 11 avril 1986, ministre des transports c. Daney, Mme Giret, syndicat des pilotes de la Gironde et M. Nebou, Rec. p. 88, RFDA, 1987, p. 44, note Ph. Terneyre

[7] Avis CE Ass. 16 octobre 1980, Revue de droit immobilier 1981 p. 309

[8] R. Rezenthel, « La liberté de gestion du domaine des ports autonomes », DMF, juin 2000, n°605, p. 588

[9] Cons. const. 14 avril 2005, n°2005-513 DC, Loi relative aux aéroports

[10] CE 11 décembre 1957, Sieurs Buffière et autres, Lebon, p. 666 (dès lors que l’ensemble de l’occupation demeure affecté au service public)

[11] Décret n°2000-682 du 19 juillet 2000 approuvant la convention type d’exploitation de terminal dans les ports autonomes maritimes et modifiant le code des ports maritimes (JORF 21 juillet 2000, p. 11203)

[12] F. Melleray, « Echelle de la domanialité », Mélanges en l’honneur de F. Moderne, Dalloz, 2004, p. 287

[13] Pour J.-F. Brisson , « principe qui, adaptant les moyens aux fins, conduit à ne conférer aux équipements affectés à l’exécution d’une mission de service public que la protection juridique qu’exige leur affectation » in « L’adaptation des contrats administratifs aux besoins d’investissement immobilier sur le domaine public », AJDA 2005, p. 591

[14] J.-P. Duprat, L’évolution des logiques de gestion du domaine de l’Etat, AJDA 2005, p. 578

[15] CE 17 février 1932, Cne de Barran, Dalloz 1933 III, p. 49, note René Capitant

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