CA Montpellier 6 mars 2007 n°06/00930, Multitank Arcadia, JL n°J57073

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Un petit commentaire sur Multitank Arcadia, coup de frein sur la faute inexcusable de l’armateur

COUR D’APPEL DE MONTPELLIER
2° Chambre Section A
ARRET DU 06 MARS 2007

Numéro d’inscription au répertoire général : 06/00930
Sur arrêt n°1385 de la Cour de Cassation en date du 8 Octobre 2003 qui casse et annule dans toutes ses dispositions l’arrêt n° 589 rendu le 10 Octobre 2001 par la Cour d’Appel d’Aix en Provence (2ème chambre commerciale) statuant sur appel d’un jugement du Tribunal de Commerce d’Aix en Provence en date du 7 Mai 1997

APPELANTS :

Société PARTENREEDEREL MULTITANK ARCADIA, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié eu cette qualité au siège social sis
An Der Alster
45 HAMBOURG – ALLEMAGNE
représentée par la SCP GARRIGUE – GARRIGUE, avoués à la Cour
assistée de Me Jean-Jacques OLLU, avocat au barreau de PARIS

Société CF AHRENKIEL SHIP MANAGEMENT (CYPRIUS) LTD, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité au siège social sis
25 Olympia Street Dra Tower
Limasol – CHYPRE
représentée par la SCP GARRIGUE – GARRIGUE, avoués à la Cour
assistée de Me Jean-Jacques OLLU, avocat au barreau de PARIS

Monsieur ALEFAIO VILIANO
VIAIJKU
FUNAFUTI – TUVALU
représenté par la SCP GARRIGUE – GARRIGUE, avoués à la Cour
assisté de Me Jean-Jacques OLLU, avocat au barreau de PARIS

Monsieur le CAPITAINE commandant le NAVIRE MULTITANK ARCADIA
Agence Maritime Pomme 20 Landrivon
(Navire MULTITANK ARCADIA)
13110 PORT DE BOUC
représentée par la SCP GARRIGUE – GARRIGUE, avoués à la Cour
assistée de Me Jean-Jacques OLLU, avocat au barreau de PARIS

INTIMES:

PORT AUTONOME de MARSEILLE, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité au siège social sis
23 Place de la Joliette
BP 1965
13226 MARSEILLE CEDEX 2
représentée par la SCP SALVIGNOL – GUILHEM, avoués à la Cour
assistée de Me GOBERT, avocat au barreau de MARSEILLE

S-A, GOEGAZ LAVERA venant aux droits de TRANSGAZ LAVERA, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité an siège social sis
7 Rue E & A Peugeot
92500 RUEIL MALMAISON
représentée par la SCP DIVISIA – SENMARTIN, avoués à la Cour
assistée de Me PELLIER, avocat au barreau de MARSEILLE

SA ACE EUROPEAN GROUP LIMITED venant aux droits de la S.A. ACE INSURANCE anciennement dénommée Cigna Insurance Compagny of Europe SA NV3, prise en la personne de son Président Directeur Général en exercice, domicilié en cette qualité au siège social sis
9/31 Avenue des Nerviens Boîte 7
1040 BRUXELLES BELGIQUE
représentée par la SCP AUCHE-HEDOU – AUCHE, avoués à la Cour
assistée de Me Bruno HESCHI, substituant la SCP PLICHON PHILIPPE, avocats au barreau de PARIS

S.A.S. INNOVENE FRANCE anciennement S,N.C. BP CHEMICALS, prise en la personne de son Président Directeur Général en exercice, domicilié en cette qualité au siège social sis
Avenue de la Bienfaisance
BP6
13117 LAVERA
représentée par la SCP AUCHE-HEDOU – AUCHE, avoués à la Cour
assistée de Me Alain VIDAL-NAQUET, avocat au barreau de MARSEILLE

S.A. NAPHTACHIMIE, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité au siège social sis
Ecopolis Lavera Sud
BPn°2
13117 LAVERA
représentée par la SCP AUCHE-HEDOU – AUCHE, avoués à la Cour
assistée de Me Alain VIDAL-NAQUET, avocat au barreau de MARSEILLE

G.I.E. GEXARO, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité au siège social sis
La Défense,
1 place de la Seine
92400 COURBEVOIE
représentée par la SCP AUCHE-HEDOU – AUCHE, avoués à la Cour
assistée de Me Alain VIDAL-NAQUET, avocat au barreau de MARSEILLE

TOTAL PETROCHEMICALS FRANCE venant aux droits de la S.A. ELF ATOCHEM, prise en la personne de son Président Directeur Général en exercice, domicilié en cette qualité au siège social sis
Défense 10
2 place de la Coupole
92400 COURBEVOIE
représentée par la SCP AUCHE-HEDOU – AUCHE, avoués à la Cour
assistée de Me Alain VIDAL-NAQUET, avocat au barreau de MARSEILLE

S.A. OXOCHEMIE, prise en la personne de son représentant légal en exercice, domicilié en cette qualité au siège social sis
Défense 10
Cedex 421
92019 PARIS LA DEFENSE
représentée par la SCP AUCHE-HEDOU – AUCHES avoués à la Cour
assistée de Me Alain VIDAL-NAQUET, avocat au barreau de MARSEILLE

INTERVENANTE

S.A GAN EUROCOURTAGE IARD venant aux droits de la SA GROUPE COMMERCIAL UNION ASSURANCES venant aux droits de la Compagnie ABEILLE ASURANCES, et venant aux droits de L.B.C. MARSEILLE FOS S.A.S. anciennement dénommée Mavrac prise en la personne de son Président du Directoire en exercice, domicilié en cette qualité au siège social sis
8-10 rue d’Astorg
75383 PARIS CEDEX 8
représentée par la SCP SALVIGNOL – GUILHEM, avoués à la Cour
assistée de la SCP BRIGNON-LEBRAY, avocats au barreau d’AIX

ORDONNANCE DE CLOTURE DU 29 Janvier 2007

COMPOSITION DE LA COUR :
L’affaire a été débattue le 01 FEVRIER 2007, en audience publique, Mr Guy SCHMITT, magistrat chargé de la mise en état, ayant fait le rapport prescrit par l’article 785 du Nouveau Code de Procédure Civile, devant la Cour composée de :
M- Guy SCHMITT, Président Madame Annie PLANTARD, Conseiller Mme Noële-France DEBUISSY, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Melle Colette ROBIN

ARRET:

–    contradictoire.
–    prononcé publiquement par M. Guy SCHMITT, Président.
–    signé par  M. Guy SCHMITT, Président, et par Melle Colette ROBIN, Greffier présent lors du prononcé.

Le 15 décembre 1993 le navire citerne MULTITANK ARCADIA d’une longueur de 102 mètres (le navire) chargé de produits chimiques, appartenant à la société AHRENKJEL SH1P MANAGEMENT (le propriétaire), affrété par la société PARTENREEDEREI- MULTITANK ARCADIA (l’affréteur), armé par Alefaio VILIANO (l’armateur) et commandé par monsieur WIRTH (le capitaine), a heurté un poste du port pétrolier de LAVERA dépendant du port autonome de MARSEILLE alors qu’il effectuait une manoeuvre d’accostage sans le concours d’un remorqueur, occasionnant des dommages aux biens et installations de diverses sociétés.

Après le dépôt d’un rapport d’expertise judiciaire qui imputait l’accident à la défaillance momentanée du propulseur d’étrave en raison du ralentissement de l’un des deux groupes électrogènes utilisés pour la manoeuvre d’accostage sur les trois qui équipaient le navire, et relevait le non-remplacement du filtre à huile du groupe défaillant selon les normes qui lui étaient applicables, les sociétés victimes ont assigné en responsabilité et indemnisation le propriétaire du navire, son armateur, son affréteur et son capitaine. Il a été fait droit à leurs demandes, sans limitation de responsabilité en raison d’une faute inexcusable à l’origine des dommages, par un jugement du tribunal de commerce d’AIX EN PROVENCE en date du 7 mai 1997 que la cour d’appel de la même localité a confirmé le 10 octobre 2001 aux motifs que la manoeuvre d’accostage avait été exécutée, sans instructions expresses de l’armement, de manière téméraire avec deux groupes seulement sur les trois disponibles, alors que le caractère dangereux de la cargaison imposait des précautions particulières.

L’arrêt de la cour d’appel D’AIX en PROVENCE a été annulé en toutes ses dispositions par la cour de cassation le 8 octobre 2003 au motif que de la faute inexcusable imputée à l’armateur ne résultait pas celle du propriétaire qui gérait le navire, de l’affréteur et du capitaine ;

Concluant après renvoi le propriétaire, l’armateur, l’affréteur et le capitaine entendent voir juger qu’ils n’ont commis aucune faute inexcusable, limiter l’indemnisation au plafond de 676.188,12 euros prévu par la convention de Londres du 19 décembre 1976, et condamner les victimes de la collision à restituer l’excédent qui leur a été versé en exécution du jugement attaqué ;

Ils font valoir pour l’essentiel que :
– l’affirmation de l’expert selon laquelle le filtre du groupe défaillant se trouvait en fin de limite d’utilisation procède d’une erreur d’addition, cette limite n’ayant pas été atteinte et la défaillance étant probablement la conséquence d’une impureté du carburant ou d’une cause accidentelle.
– les deux générateurs utilisés fournissaient une énergie suffisante pour permettre l’accostage, le troisième n’étant destiné, selon la convention SOLAS, qu’à permettre les travaux de maintenance et à assurer la climatisation ou le réchauffage de la cargaison ;
– A supposer établies les fautes et négligences alléguées, qui incomberaient au personnel de bord dont il est établi qu’il avait pour habitude d’utiliser les trois générateurs pour les manoeuvres d’accostage, elles ne constitueraient pas, par application des dispositions de l’article 4 de la convention SOLAS, des fautes personnelles des armateurs ou du capitaine de nature à priver ces derniers du bénéfice de la limitation de responsabilité.
– l’absence d’instructions permanentes quant au fonctionnement des trois groupes électrogènes pour les manoeuvres d’accostage ne suffirait pas à caractériser un agissement téméraire, mais de telles instructions avaient en fait été données, la vérification du fonctionnement du propulseur d’étrave et de la disponibilité des besoins maximum en puissance avant l’entrée au port ayant figuré dans la check-list et dans le manuel de contrôle de qualité dont les victimes soutiennent contre l’évidence qu’il aurait été élaboré pour les besoins de la cause.
– le capitaine peut également prétendre limiter sa responsabilité, les propos que lui impute le pilote et qu’il conteste, quant à l’instabilité du propulseur d’étrave lors de l’accostage, n’étant pas de nature à caractériser une faute inexcusable.
– il n’existe aucun lien de causalité entre le dommage et le fait que le troisième générateur n’avait pas été mis en route, le temps nécessaire au démarrage, au couplage et à la réactivation de la centrale hydraulique ayant été en toute hypothèse trop important pour permettre d’éviter le heurt.
– la faute d’abstention reprochée à l’armateur ne revêtirait pas en toute hypothèse les caractères d’une faute téméraire, la connaissance du dommage probable faisant défaut.

Les victimes concluent à la confirmation de la décision attaquée en soutenant que :
– l’expertise permet d’imputer de manière non équivoque la défaillance momentanée de l’un des deux générateurs utilisés pour la manoeuvre d’accostage à l’encrassement de son filtre conséquence d’une absence de contrôle périodique constatée par l’expert et confortée par la constatation qu’aucune procédure de remplacement n’avait été mise en place, qu’en violation de la pratique maritime le journal-machine ne porte aucune mention des changements de filtres, et que le nombre d’heures d’utilisation avancé par le mécanicien ne procède que d’une appréciation intuitive et non d’un relevé précis.
– compte tenu de la dangerosité de la cargaison, des conséquences prévisibles de la défaillance de l’un des générateurs, et de la configuration de l’installation qui rendait impossible le démarrage instantané du troisième générateur, il était impératif que les manoeuvres d’accostage soient effectuées avec le concours des trois générateurs et non seulement de deux d’entre eux.
– les déclarations du capitaine recueillies par l’expert démontrent que celui-ci ignorait que le troisième groupe n’était pas couplé et ne démarrait pas automatiquement en cas de défaillance de l’un des deux autres ou de surcharge, ce dont il faut déduire, d’une part que pour le capitaine ce couplage allait de soi, d’autre part que l’armateur, qui connaissait parfaitement le danger inhérent à l’utilisation de deux groupes seulement, avait à cet égard négligé de manière téméraire, non seulement l’équipement du navire dans une mesure garantissant la sécurité en toute circonstance comme exigé par la convention SOLAS, mais encore la formation et l’information du capitaine qui ne pouvait pas même se fier à la check-list qui ne comportait aucune indication sur la mise en marche du troisième groupe.
– la production, plusieurs années après l’expertise, d’un manuel de contrôle de qualité émanant d’une société tierce, qui n’a pas été soumis à l’expert qui s’est vu refuser l’accès à bord, est suspecte en raison des circonstances de sa production et de son origine, et sans incidence sur le fait que le capitaine ne connaissait pas le fonctionnement de son navire, ignorance qui caractérise à sa charge une faute inexcusable.

Sur ce,

Attendu que pour plus ample exposé des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé, par application des dispositions de l’article 455 du NCPC, aux conclusions déposées le :
– 25 janvier 2007 par le propriétaire, l’armateur, l’affréteur et le capitaine du navire.
– 25 janvier 2007 par le PORT AUTONOME DE MARSEILLE.
– 7 septembre 2006 par la société GEOGAZ LAVERA.
– 7 avril 2006 par les sociétés INNOVENE FRANCE, NAPHATACHIMIE, GEXARO, OXO CHIMIE et TOTAL PETROCHEMICALS FRANCE.
– 23 mars 2006 par la société ACE EUROPEAN GROUP LIMITED,
– 10 mars 2006 par la société GAN EUROCOURTAGE IARD.

Attendu qu’il résulte du rapport d’expertise et n’est pas contesté que le navire était équipé de trois groupes électrogènes de même capacité dont deux étaient nécessaires au fonctionnement du propulseur d’étrave qui absorbait une énergie supérieure à celle produite par un seul d’entre eux, le troisième n’ayant pas été couplé de sorte qu’il ne se déclenchait pas automatiquement en cas de surcharge du circuit laquelle, en revanche, provoquait automatiquement l’arrêt d’un certain nombre de services non essentiels et, en fin de compte, du propulseur d’étrave lui-même ;

Attendu que lors de l’accident le navire, qui venait d’embarquer un pilote, amorçait un virage à gauche lorsque le propulseur d’étrave au moyen duquel il effectuait la manoeuvre est tombé en panne, de sorte que le heurt avec un ponton distant d’une vingtaine de mètres n’a pu être évité malgré une tentative désespérée d’infléchir la trajectoire au moyen de l’ancre bâbord et de l’inversion de la propulsion arrière ;

Attendu qu’il est constant que deux groupes seulement avaient été mis en service pour la manoeuvre et que la défaillance momentanée du propulseur d’étrave est imputable à une impureté du carburant non retenue par le filtre de l’un des groupes en marche qui était encrassé, le déficit en énergie qui en est résulté n’ayant pu être pallié instantanément par la mise en service du troisième groupe en l’absence de couplage et compte tenu de l’arrêt du propulseur ;

Attendu que l’expert a constaté que les changements de filtres n’étaient notés sur aucun registre ou cahier ; que, comparant l’état des filtres équipant chacun des groupes, il s’est contenté d’éliminer la pollution du carburant comme cause possible de l’encrassement et a pris acte des déclarations des mécaniciens selon lesquels les filtres étaient changés toutes les 56 heures ; qu’il a calculé que ce maximum était atteint pour le filtre encrassé et commis ce faisant une erreur d’additions les durées d’utilisation qu’il récapitule n’aboutissant qu’à un total de 46 heures ; que cependant il n’a pas porté de jugement sur le caractère excessif de cet encrassement rapporté à la durée habituelle d’utilisation d’un filtre de sorte qu’en toute hypothèse, en l’absence de certitude quant au changement tardif du filtre du groupe défaillant et même à considérer l’absence de registre comme une négligence grave, aucun lien de causalité entre la défaillance du propulseur et cette négligence ne peut être retenu ;

Attendu que les auditions effectuées par l’expert et un sapiteur ont encore révélé que les mécaniciens avaient l’habitude d’enclencher les trois générateurs avant d’entrer dans un port, qu’ils ne l’avaient pas fait le jour de l’accident pour une raison qui n’a pu être élucidée et qui ne tenait pas à l’état des générateurs, tous en état de marche, que le bon fonctionnement du propulseur d’étrave avait été vérifié avant l’entrée dans le port, et que le capitaine ignorait que le troisième générateur n’était pas couplé ;

Attendu que la convention SOLAS prise comme référence par les parties impose en son article 41 un équipement en groupes générateurs d’une capacité telle qu’en cas d’arrêt de l’un quelconque d’entre eux il soit encore possible d’alimenter les services nécessaires pour garantir des conditions normales de propulsion et de sécurité; que le navire qui a causé l’accident et qui comportait trois générateurs alors que deux étaient suffisants, satisfaisait à cette exigence de capacité à laquelle sont étrangers l’enclenchement et le couplage qui relèvent du fonctionnement ; qu’abstraction faite d’une polémique stérile quant aux conditions dans lesquelles la convention a été invoquée par les appelants, le moyen des victimes de l’accident pris de la violation de cet article sera en conséquence écarté ;

Attendu qu’en son article 40 la même convention exige que les installations électriques soient telles que les services électriques essentiels à la sécurité soient assurés dans les situations critiques ; que l’expert, après avoir constaté que le dispositif de sécurité du navire, qui arrêtait automatiquement la centrale hydraulique du propulseur en cas de déficit en énergie, n’incluait pas cette centrale dans les services essentiels, a émis l’avis qu’elle méritait d’y figurer; que, sans qu’il soit nécessaire de départager les parties quant à l’assimilation de la centrale à un service « électrique » essentiel à la sécurité et à la violation de la disposition précitée, il suffit de constater qu’un dispositif technique tenant à la conception du navire et hiérarchisant les services dans la perspective de leur neutralisation en cas de panne électrique ne peut en tant que tel contribuer à caractériser une faute téméraire de l’armement lorsqu’est possible, comme en l’espèce, une utilisation des installations préservant les services électriques essentiels dans les situations envisagées par le texte en cause ;

Attendu, concernant l’utilisation des installations, qu’il est indéniable que l’entrée dans un port d’un chimiquier chargé manoeuvrant par ses propres moyens recèle d’évidents dangers et que le simple bon sens ainsi que la plus élémentaire prudence imposaient en l’espèce, compte tenu de la trajectoire suivie, du rôle primordial du propulseur d’étrave pour la manoeuvre, de la puissance absorbée et de celle délivrée par chaque générateur, et en l’absence de couplage de ces derniers, de les enclencher tous les trois ;

Attendu que le capitaine disposait d’une check-list qui n’imposait aucune vérification particulière quant à la puissance électrique disponible et à la suffisance de la réserve en cas de panne de l’un des générateurs ; qu’en vain les appelants soutiennent que se trouvait à bord un manuel de contrôle de qualité qui, anticipant sur le code de sécurité SMS entré en vigueur en 1998, imposait à l’officier mécanicien de s’assurer que toute la puissance nécessaire à la manoeuvre était disponible afin de répondre aux besoins maximum de puissance, ce volumineux document en langue anglaise et allemande, élaboré en 1992, n’ayant été versé aux débats que huit ans après les faits alors qu’une âpre polémique quant à la suffisance des instructions opposait les parties depuis le début et qu’il n’en avait pas été fait mention même verbalement lors des opérations d’expertise, ce dont il faut déduire qu’à tout le moins la preuve, qui incombe aux appelants, de sa présence abord avant l’accident, n’est pas rapportée ;

Attendu qu’il faut en déduire que l’initiative d’enclencher les trois générateurs lors des manoeuvres portuaires avait été abandonnée aux mécaniciens alors pourtant qu’une défaillance du propulseur d’étrave causée par un encrassement soudain d’un filtre et ses répercussions en chaîne dans la configuration qui a mené à l’accident était particulièrement à redouter et statistiquement prévisible dès lors qu’il est établi par l’expertise que compte tenu de sa taille le navire était en mesure d’effectuer la majeure partie des manoeuvres portuaires par ses propres moyens ;

Attendu cependant que l’usage habituellement respecté par les mécaniciens et rapporté par l’expert de mettre les trois générateurs simultanément en marche lors des manoeuvres portuaires, démontre que ceux-ci, en considération certainement des caractéristiques des machines qu’ils connaissaient mieux que quiconque, effectuaient habituellement les gestes de nature à neutraliser la défaillance momentanée éventuelle de l’un des générateurs; que, n’étant pas établi que par manque d’instructions ils ignoraient quoique ce soit du potentiel des machines et des précautions à prendre, notamment de l’absence de couplage des générateurs et de la nécessité de les mettre en marche tous les trois, la négligence résidant dans l’absence d’instructions écrites qui n’avaient pas vocation à être vérifiées à chaque entrée dans un port est également sans lien de causalité certain avec la survenance de l’accident :

Attendu que tant le manuel de contrôle de qualité que le code SMS imposent la vérification de la disponibilité de la puissance nécessaire à la manoeuvre à l’officier mécanicien destinataire naturel des instructions compte tenu de son rôle à bord ; qu’en ne veillant pas spécifiquement à ce que les trois générateurs soient mis en marche à l’occasion des manoeuvres portuaires le capitaine qui n’était pas en charge du fonctionnement technique des machines, ne disposait pas d’instruments de contrôle le renseignant sur le nombre de générateurs en marche et pouvait compter sur un équipage fiable, n’a dès lors commis aucune faute personnelle téméraire susceptible d’entraîner sa condamnation ;

Attendu que, l’accident ne pouvant en l’état des preuves rapportées être imputé qu’à une faute nautique, les conditions de l’inopposabilité du fonds d’indemnisation régulièrement constitué par les appelants ne sont pas réunies ; que le jugement attaqué sera en conséquence infirmé en ce qu’il a accordé aux sociétés intimées un dédommagement excédant la part du fonds qui leur revenait ; que ces sociétés seront condamnées dans cette limite à restituer les sommes perçues en vertu de l’exécution provisoire ; que, les faits de la cause permettant d’écarter tout abus, les demandes de dommages-intérêts pour résistance abusive seront rejetées ;

PAR CES MOTIFS LA COUR

Statuant publiquement et contradictoirement
Déclare l’appel recevable.
Dit que les appelants n’ont commis aucune faute personnelle téméraire.
Dit en conséquence qu’ils ne sont tenus d’indemniser les sociétés intimés qu’à concurrence du montant du fonds de limitation de responsabilité de 676.188,12 euros à répartir au marc le franc et confirme le jugement attaqué dans cette limite.
Rejette les demandes des sociétés intimées pour le surplus.
Condamne à restituer aux appelants les sommes perçues en excédent avec les intérêts au taux légal à compter de la signification du présent arrêt.
Condamne in solidum aux entiers dépens de première instance et d’appel.
Admet l’avoué des appelants au bénéfice des dispositions de l’article 699 du NCPC.
Dit n’y avoir lieu à application des dispositions de l’article 700 du NCPC.

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