Multitank Arcadia : coup de frein sur la faute inexcusable de l’armateur

L’arrêt Cour d’appel de Montpellier 2° Chambre Section A, 6 mars 2007 n°06/00930, Multitank Arcadia, Jus Luminum n°J57073, a été rendu récemment. Au terme d’un raisonnement juridique inédit, il interprète strictement la notion de faute inexcusable personnelle de l’armateur, rompant avec une jurisprudence précédente qui tendait, parfois à très juste titre, à trouver l’origine du dommage causé par un navire dans les négligences de son exploitant.

La saga « Multitank » à commencé en 1993 lorsqu’un chimiquier seul à la manoeuvre, chargé d’une marchandise sensible, percute et détruit les appontements d’un terminal pétrolier à Marseille, suite à la panne de son propulseur d’étrave. L’expertise envisage l’accident comme trouvant sa cause dans une impureté du carburant, qui aurait obturé un filtre et entraîné la panne des générateurs alimentant le propulseur. L’équipement du navire comprenait un générateur de secours, mais éteint et non couplé, c’est-à-dire inutilisable.

L’événement se trouve sous l’empire de la Convention de Londres de 1976 sur les créances maritimes, et non pas sous celui de la Loi du 18 juin 1966 ni sous celui de la Convention de Bruxelles de 1924 sur le connaissement, qui s’appliquent au contrat de transport, mais pas aux dommages causés par les navires aux installations portuaires. L’autonomie de ces textes les uns par rapport aux autres est essentielle dans le raisonnement, car ils recèlent chacun un régime de responsabilité propre et distinct, qui ne souffre aucune confusion.

La Convention de Londres prévoit que le responsable de l’exploitation du navire est en droit de limiter sa responsabilité  pour les dommages causés par le navire, dès lors qu’il n’est pas prouvé « que le dommage résulte de son fait ou de son omission personnels, commis avec l’intention de provoquer un tel dommage, ou commis témérairement et avec conscience qu’un tel dommage en résulterait probablement » (expression que l’on résumera sous celle de faute inexcusable personnelle).

Les victimes ont donc cherché à démontrer que l’avarie du propulseur résultait d’une négligence personnelle fautive et téméraire de l’exploitant du navire (manque d’instructions écrites, inadaptation de l’équipement du navire aux exigences des textes concernant la sécurité, eu égard notamment au caractère dangereux de la cargaison… ), d’abord avec succès devant le Tribunal de commerce de Marseille et la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, puis sans y parvenir devant la Cour de Cassation.

Par cet arrêt regardé comme un « arrêt de discipline » par la doctrine, la Cour de Cassation semblait inviter la cour de renvoi à étayer plus solidement dans ses attendus l’idée de témérité et de conscience de la probabilité du dommage.

Pourtant, la Cour d’appel de Montpellier, avec une promptitude de pensée sans équivoque, considère que l’armement – exploitant du navire n’a commis aucune faute, et que le dommage est dû à une « faute nautique », sans toutefois retenir la responsabilité du capitaine.

La Cour rejette vivement et clairement la demande des victimes et autorise le navire à limiter sa responsabilité à hauteur d’environ 1/10ème des dommages causés.

Nous nous demandons ce que peut être cette « faute nautique » mentionnée par la Cour en rempart contre la faute inexcusable. La faute nautique est en effet un cas d’exonération de responsabilité dans la Convention de Bruxelles, mais la notion est absente de la Convention de Londres, qui constitue pourtant le fondement juridique de toute la procédure. Alors, simple raccourci de langage, ou confusion due aux spécificités méconnues du droit maritime ? Impossible de se prononcer tant l’arrêt nous laisse sur notre faim, pour ne pas dire perplexe.

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