Les enjeux de l’arrêt Iolcos History

L’arrêt Navire Iolcos History rendu le 7 décembre 2004 par la chambre commerciale de la Cour de cassation octroie un délai de prescription de 10 ans pour une action en responsabilité civile intentée contre l’entrepreneur de manutention pour un dommage causé au navire.

L’arrêt de la Cour de Cassation (Ch. com.) du 7 décembre 2004 porte à 10 ans le délai de prescription applicable aux dommages causés au navire par le manutentionnaire.

Il résout par là la question de la nature et du régime de l’action en responsabilité civile du transporteur contre son cocontractant pour dommage au navire.

La loi du 18 juin 1966 prévoit pourtant que « toutes actions contre le manutentionnaire sont prescrites » par un an.

Comme l’observe M. Tassel, la Cour consacre le fondement contractuel de l’action mais applique pourtant la prescription de droit commun en matière contractuelle (article L110-4 du Code de commerce).

Ce faisant, loin de retenir une lecture littérale de la loi, elle a voulu privilégier l’esprit général du texte et faire primer ainsi une interprétation qu’imposait certes la logique, mais qui ne découlait pas naturellement de la loi.

Il est tout à fait concevable, comme l’a vivement soutenu une doctrine autorisée, que la nature contractuelle de l’action provienne d’une obligation de prudence et de diligence indissociable du contrat de manutention.

Pourtant, la même chambre a pu 13 ans plus tôt dans une situation similaire retenir la responsabilité délictuelle du manutentionnaire (Cass. Com. 19 mars 1991).

Si l’attrait des dommages causés au navire par le manutentionnaire dans le champ contractuel est aujourd’hui difficilement discutable, il est toutefois plus malaisé d’extraire ces dommages du champ d’application de la loi de 1966.

En effet, le texte préserve un silence gênant sur l’étendue de la protection qu’il entend accorder au manutentionnaire.

Dès lors, il appartenait au Juge pour une application adéquate de la loi de retrouver l’intention première du législateur.

Or, la loi n’encadre la responsabilité du manutentionnaire que dans la mesure où celui-ci accomplit une certaine catégorie d’opérations portant sur la marchandise, énumérées limitativement et visées aux articles 50 et 51.

Ce premier argument tiré de l’absence de référence explicite au navire dans les dispositions de la loi de 1966 qui modifient le régime de responsabilité du manutentionnaire n’est pas déterminant.

Bien entendu, l’acuité juridique commande d’interpréter restrictivement les dispositions favorables d’une loi d’exception, et d’en conclure que le texte de 1966 ne régit pas l’ensemble du contrat de manutention, mais n’étend son emprise qu’à un nombre restreint de stipulations de celui-ci.

Plus symptomatique en revanche est l’esprit dans lequel a été rédigée la loi.

Il conviendrait de lire l’article 52 de la loi de la manière suivante : « Toutes actions intentées en vertu du présent titre contre le manutentionnaire sont prescrites dans les conditions des articles 32 et 46 ».

L’absence d’une telle mention s’explique aisément par les particularismes du droit maritime dont est empreinte la rédaction du texte.

Le régime de responsabilité favorable dont bénéficie le transporteur maritime découle directement des périls liés à une expédition maritime, la mer constituant un environnement agressif justifiant l’application d’un régime dérogatoire à certaines activités.

De telles contraintes pèsent sur les transporteurs, ainsi que, d’une manière différente, sur les ports.

Elles ne pèsent pas sur le manutentionnaire.

Cependant, suivant une logique pragmatique, il était nécessaire, afin d’éviter que le régime de responsabilité du transporteur soit contourné par le report des actions sur le manutentionnaire, de faire bénéficier celui-ci des mêmes protections que celles accordées au transporteur.

La référence à l’article 32 dans l’article 56 de la loi, qui définit les actions ouvertes contre le manutentionnaire, témoigne de cette application « par ricochet » au manutentionnaire du régime du transporteur.

L’article 56 de la loi du 18 juin 1966 a donc vocation à protéger le manutentionnaire contre la marchandise, non pas contre le navire.

Par le passé, certains transporteurs incluaient au connaissement une disposition contractuelle par laquelle ils entendaient faire bénéficier le manutentionnaire des clauses d’exonération contenues dans le connaissement (clause dite Himalaya).

Suivant cette interprétation, l’article 56 ne serait donc rien d’autre que l’expression législative de la clause Himalaya. Or, ces clauses ne protégeaient pas le manutentionnaire en cas de dommage au navire.

Par conséquent, il serait incorrect de considérer que le législateur ait pu entendre appliquer aux dommages non liés à la marchandise la prescription d’un an.

En effet, ce délai très court, pour reprendre les termes de M. Evrard, entraîne bien souvent « la capitulation du droit », laquelle est justifiée uniquement par les contraintes inhérentes aux activités maritimes, dont ne souffre pas le manutentionnaire.

La Convention des Nations Unies sur la Responsabilité des Exploitants de Terminaux de Transport dans le Commerce International (qui n’entrera pas en vigueur avant longtemps) fait d’ailleurs très bien la distinction et restreint explicitement le régime dérogatoire instauré en faveur du manutentionnaire aux dommages causés à la marchandise.

Toutefois, cette position, valide lors de la rédaction de la loi, l’est-elle encore aujourd’hui ?

Plusieurs auteurs ont déjà constaté la sévérité de la loi envers le manutentionnaire, qui souffre d’une présomption de faute en cas de dommage (article 53 de la loi de 1966).

L’arrêt Iolcos History interdit désormais au manutentionnaire de se retrancher derrière une prescription courte pour faire face aux actions intentées contre lui par l’armateur pour dommage au navire.

Ce traitement sévère contribue indéniablement à mettre en difficulté des entreprises dont les déficiences structurelles sont connues.

La Cour des comptes a pu constater le « sursis » qui pèse sur le secteur : « L’état des créances des ports autonomes et de la Cainagod à l’encontre des entreprises de manutention est significatif des difficultés financières des entreprises, dont certaines sont « sous perfusion ». Ces créances atteignaient 226,2 MF au 31 décembre 1997. »

Au delà des entreprises de manutention, ce sont les Ports autonomes qui à terme risquent de supporter en dernier ressort la charge de ces difficultés.

En effet, aucune jurisprudence n’a explicitement accordé aux Ports autonomes le bénéfice d’un privilège sur ses créances, même domaniales, à l’égard des entreprises portuaires.

L’aggravation des difficultés de ces dernières empêche le recouvrement desdites créances et, en cas de procédure collective, le port connaît d’immenses difficultés à recouvrer sa créance et ne pas souffrir financièrement de la chute d’un opérateur défaillant.

Cette situation malsaine ne pourrait être palliée qu’en reconnaissant que certaines catégories de créances portuaires ne doivent pas être regardées comme chirographaires.

L’arrêt Iolcos History n’a donc pas pour seul intérêt de rappeler l’essence du droit maritime. Il rappelle également que le droit maritime est un droit opérationnel qui réagit pragmatiquement aux évolutions d’activités soumises à des circonstances particulières. L’arrêt soulève par là des questions tenant à l’organisation des activités portuaires, et notamment celle de l’avenir des entreprises de manutention.

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